C'est grâce à un camarade que j'ai retrouvé mon cahier de classe
En 1941, sous Pétain, la réforme de l'Éducation nationale a eu lieu. La Sup' a été supprimée ! L'administration Pétain a remplacé le brevet supérieur par le baccalauréat qui avant, ne se présentait qu'au lycée. Quand je suis rentré à la Sup', il y avait encore des brevets supérieurs. C'était l'équivalent du baccalauréat.
Quand je suis rentré à Pierre Émile Martin, cela s'appelait le collège moderne et technique qui s'appelait, encore un an avant mon entrée, l'école primaire supérieure. On y rentrait à 12 ans avec le certificat d'étude. En 1942, ou 1943, a été créé le DEPP (Diplôme d'Études Primaires Préparatoires) qui se passait à 11 ans, ce qui fait que les élèves entraient en 6ème à 11 ans alors que nous y étions entrés à 12 ans.
- Quel métier rêviez-vous de faire lorsque vous étiez enfant ?
Je n'avais pas d'envie précise. Comme j'habitais dans une ville de garnison, disons que l'armée me tentait assez. Nous étions à Metz, puis avons déménagé à Bourges. De plus, mon père faisait partie du personnel civil de l'armée. C'était une aspiration mais pas profonde.
Après mon service militaire, mon père me suggérait, comme beaucoup de parents à l'époque, d'entrer dans l'administration. Moi, cela ne me tentait pas trop. Il m'encourageait à passer le concours d'inspecteur des PTT : "il y a des débouchés, tu peux évoluer". Il est vrai que cela offrait une belle perspective de carrière mais cela ne m'attirait pas. J'ai donc regardé les petites annonces. J'ai trouvé une annonce qui m'a séduit. Je suis alors rentré aux Savonneries Lever comme voyageur de commerce. J'ai fait ce travail pendant 18 mois. Ensuite j'ai évolué assez vite. J'ai été assistant de l'inspecteur régional, puis je suis monté à Paris comme assistant de l'école des ventes. J'ai ensuite fait du planning, j'ai créé un service de commandes et livraisons de 40 personnes dans un immeuble sur les Champs Elysées où se trouve actuellement une grande boutique qui fait rêver. Et puis j'ai perdu la vue. Je me suis donc arrêté dans les années 1970-71. Quand ce fût irréversible, je suis allé en rééducation à Marly-Le-Roi. J'ai alors repris la direction du service que j'avais créé, jusqu'à la retraite.
- Quel souvenir gardez-vous de votre scolarité ?
J'en garde un très bon souvenir. Je n'étais pas un mauvais élève. J'ai retrouvé mon livret de notes. En 6ème, nous étions 65 élèves. Il y avait deux classes. J'ai terminé 1er de l'année scolaire !
- Quels cours vous passionnaient le plus et pourquoi ? Pour la matière ou pour l'enseignant ?
Je ne peux pas dire que j'avais une préférence. Tout me plaisait mais les mathématiques m'attiraient d'avantage puisqu'au bac j'ai choisi math élem. Nous avions des professeurs jeunes et dynamiques. Il y a quand même une matière qui me rebutait, c'était la chimie.
Je me souviens en particulier d'un professeur de physique et de sciences naturelles, M Buret. Un type sensationnel qui avait lui-même été élève à la Sup' quelques années plus tôt.
Il y avait également Miss Jaujard, notre professeur d'anglais. Son frère commandait le seul bateau français ayant participé au débarquement en Normandie. C'était un personnage cette miss Jaujard!
- Avez-vous revu vos professeurs après votre scolarité ?
Oui, j'en ai revu un par hasard. Il y avait un surveillant qui postulait à un poste dans la société où je travaillais. J'étais donc allé le voir pour un entretien au collège même et j'ai croisé M. Campagnet, mon professeur de maths et j'ai su après qu'il était venu à Paris enseigner à Janson de Sailly. J'avais de la sympathie pour mes professeurs. Les cours finis, c'était terminé ! Je rentrais chez moi. C'est grâce à un camarade nommé Pierre que j'ai retrouvé mon cahier de classe. Comme il s'entendait très bien avec le professeur de français de l'époque qui m'avait demandé de remplir ce cahier de classe, c'est lui qui en avait hérité. Il allait lui rendre visite à la maison de retraite à Strasbourg. Elle avait fait du tri dans ses affaires et lui avait donné le cahier de classe. Il me l'a restitué des dizaines d'années après ! Ça ne fait que 10 ou 15 ans que je l'ai récupéré.
- Avez-vous gardé contact avec vos camarades ?
Oui, avec Pierre qui avait fait l'école horticole de Versailles que j'ai connu en 6ème. On s'envoyait des cartes postales pendant les vacances. Et puis on s'est revu aux halles de Versailles, fortuitement, en faisant le marché. Depuis, on se revoit de temps en temps. Il m'a rendu mon cahier quelques temps après nos retrouvailles.
J'en ai revu un autre que j'avais connu en 6ème et qui après était en classe commerciale.
J'ai gardé contact avec un autre camarade de classe qui était fils de coiffeur et qui est devenu lui-même coiffeur et dont j'étais client.
J'ai retrouvé Hubert aussi. Il est devenu commissaire de Police. Un jour de 1967, nous allions voter à la mairie Villepreux, où nous résidons. Et je vois Hubert ! Je lui demande alors ce qu'il fait là. Il me répond : "Je suis en train de faire le tour des bureaux de vote, je suis le commissaire de police du coin". On avait passé 6 années ensemble à Bourges et on se retrouvait là, par hasard, en région parisienne ! Et puis, on s'est à nouveau perdu de vue.
Mais vous savez, à l'époque on avait peu de contact avec ses camarades de classe en dehors du collège. C'était la guerre. Moi par exemple, je passais mes vacances à garder les vaches et à faire les moissons. En 1944, ce fût la libération. Cette année-là, je suis resté toutes les vacances chez moi, les armées allemandes étaient particulièrement en mouvement. En juin, nous avons craint la division SS das Reich qui était passée par Oradour sur Glane où elle avait commis les massacres que nous connaissons et qui remontait vers le front de Normandie.
- Parlez-nous du cahier qui a été exposé lors du centenaire du lycée.
J'avais oublié ce cahier jusqu'à ce que Pierre me le remette. Notre professeur de français de 5ème Melle Gaulet m'avait demandé de faire ce cahier de classe en 1942/43. Pourquoi ? Je ne sais pas, peut-être parce que j'étais parmi les premiers de la classe ou celui qui avait la plus belle écriture.
Je l'ai montré à une de mes petites-filles, qui fait d'ailleurs des études pour être institutrice. Je lui ai dit que j'allais donner ce cahier à M. Sallot pour le centenaire. Elle m'a dit "Pas question, ce cahier doit rester dans la famille comme le cahier de 1915 de Pépé !".
Mon fils a donc numérisé le cahier. Il a fait un très bon travail puisque beaucoup de gens ont cru que c'était l'original que M. Sallot a exposé pour le centenaire du lycée !
- Qu'est-ce que ça vous a fait de retrouver ce cahier ?
Ma femme m'a relu le cahier car j'avais déjà perdu la vue. Elle a d'ailleurs été surprise que cette belle écriture soit la mienne !
Cela m'a rappelé des choses que j'avais complètement oubliées.
- Comment votre cahier s'est-il retrouvé au centenaire du lycée Pierre Émile Martin ?
Pour mes enfants et petits-enfants, j'ai écrit l'histoire de notre famille. Suite à notre arbre généalogique, j'ai voulu ajouter des photos, puis du texte. Avec ces 400 photos, j'ai raconté l'histoire de notre famille. En arrivant au passage sur le collège, je n'ai pas trouvé de photo du collège tel qu'il était. On est allé à Pierre Émile Martin prendre des photos tel qu'il est, mais ça n'avait pas grande signification pour moi car il avait totalement changé. J'ai alors téléphoné au lycée où j'ai été mis en contact avec M. Sallot qui préparait le centenaire, il y a déjà plus de 7 ans. Il m'a alors envoyé quelques photographies et ma femme me les a décrites. Une ressemblait particulièrement à mon souvenir elle datait de 1935. Il m'a alors demandé à son tour si j'avais des photos de l'époque. Je lui ai donné des photos de chaque année entre 1941 et 1945 et mon cahier. C'était une période dont le lycée n'avait plus aucune archive !
J'ai donné à M. Sallot plusieurs photos de classe, dont une avec les noms de tous les élèves présents.
- Avez-vous gardé en mémoire une anecdote de ces années ?
Avec notre professeur de science, nous étions tous en blouse grise. À l'époque, il y avait des internes au lycée. Un jour un nommé Morand, interne, arrive en salle de physique. Je vois encore M Buret, lui dire " Morand, allez vous rhabiller ! " car il était en short sous sa blouse. Aujourd'hui, on n'en ferait aucun cas. Il est alors reparti à l'internat mettre un pantalon. À l'époque certains venaient en cours en costume et cravate !
Je me souviens aussi de notre professeur de gymnastique qui savait très bien jouer du sifflet. Son assistant, lorsque la cloche de fin de cours sonnait disait finement : "Je soupçonne que la soupe sonne !".
Crédit photo : Alexandra Rosina