Interview de Nathalie Kosciusko-Morizet par France Bleu
France Bleu : C'est aujourd'hui que sort le film "The Social Network" sur l'histoire de Facebook. Les réseaux sociaux de plus en plus mis en cause pour l'enregistrement de données personnelles. On l'évoque avec Nathalie Kosciusko-Morizet membre du gouvernement.
Bonjour Nathalie Kosciusko-Morizet.
Nathalie Kosciusko-Morizet : Bonjour.
FB : Vous êtes secrétaire d'Etat au développement numérique, vous êtes également maire UMP de Longjumeau dans l'Essonne. Alors, le film sur l'histoire de Facebook sort aujourd'hui. J'ai eu la chance de le voir hier soir et une phrase m'a fait penser à vous pendant le film quand une jeune fille dit : "Sur le net on n'écrit pas au crayon, on écrit à l'encre.", sous entendu, ça ne s'efface pas. C'est ça votre cheval de bataille aujourd'hui ?
NKM : Et bien elle a raison. C'est à dire que l'on écrit à l'encre et puis surtout la parole devient libre en quelque sorte. Ce que l'on a lancé sur le net, par endroits, il peut être effacé, et puis par endroits, il va être répliqué, éventuellement répliqué à l'infini. Et on va avoir le plus grand mal à le desindexer. Alors ce n'est pas forcément grave. Il y a plein de choses.
FB : ça peut l'être.
NKM : C'est ça le problème, c'est que si on ne fait pas attention, si on se dévoile en fait, trop spontanément, à un autre âge de la vie, on peut être gêné parce qu'on a mis. On peut avoir des difficultés au moment de chercher un travail par exemple. On sait qu'il y a de plus en plus de gestionnaires de ressources humaines qui font un profil sur internet pour regarder à qui ils ont affaire avant un entretien.
NKM : Alors, on a, à la fois, des réseaux sociaux français, comme Trombi.com, Viadéo et puis des moteurs de recherche. Par exemple Pages Jaunes qui est propriétaire de 123people et enfin des associations de protection de la vie privée et de l'enfance. C'est une charte qui a vocation à s'étendre. On est en négociation notamment avec les acteurs américains.
FB : Facebook ?
NKM : Bien sûr mais aussi Google. Puisque c'est une charte qui vise à la fois à sensibiliser les réseaux sociaux eux-mêmes pour qu'on ne puisse pas mettre n'importe quoi en ligne ou en tous cas qu'on soit averti, qu'on puisse facilement retirer ce qu'on a mis en ligne. Mais aussi travailler avec les moteurs de recherche pour qu'on puisse desindexer ce qui a été mis en ligne. Parce qu'en fait, quand vous avez mis en ligne quelque chose qui pose problème, il faut à la fois que vous puissiez retirer sur le réseau social. Imaginez sur Facebook, vous avez mis une photo sur laquelle vous êtes ivre quand vous étiez jeune, ça vous gène pour chercher un travail. Il faut que vous puissiez la retirer sur Facebook mais il faut aussi sur Google que vous puissiez désindexer cette photo qui sinon peut réapparaitre alors même qu'elle a été retirée de l'endroit où vous l'aviez mise initialement.
FB : Mais est-ce que vous allez réussir à faire plier les américains là-dessus ? C'est 500 millions d'utilisateurs sur Facebook !
NKM : Ils sont de plus en plus sensibles à la question de la réputation. Et d'ailleurs les dernières dispositions de protection de la vie privée qu'a sorti Facebook sont assez convergentes avec qu'on propose nous. Ils ont deux problèmes. Le premier c'est que pour une charte comme ça, ils ont besoin de la faire valider au niveau de leur service juridique central. Et alors c'est très compliqué parce que, comme ils sont présents partout dans le monde, ils font attention à ne pas s'avancer trop dans un pays par rapport à un autre. C'est un peu la difficulté et c'est vrai qu'on est un peu en avance par rapport à ce que demandent les autres. Et puis ils ont un autre souci, c'est que moi je leur demande de s'engager sur le non transfert des données ou au moins l'information des internaute quand on transfert des données hors d'Europe ou que l'on transfert des données vers des pays où la vie privée n'est pas protégée. Parce qu'il y a ça. Vous pouvez avoir des données que vous mettez en ligne et puis le site va les vendre ou les transférer à un autre site qui est dans un pays où on peut en faire n'importe quoi. Et là le service juridique de ces grands acteurs américains est évidemment un peu plus réticent. Donc les négociations continuent avec eux.
FB : C'est pour ça que vous faites une charte et non pas une loi ? Parce qu'une loi ça aurait plus d'impact. Non ?
NKM : Non, justement, ça en aurait beaucoup moins en fait paradoxalement.
FB : Pourquoi ?
NKM : La loi elle existe ! C'est la loi informatique et libertés de 78. Il y a tous les principes dedans et elle a été reprise par l'Union Européenne dans une directive de 95. Donc les principes sont bien partagés. Aujourd'hui la question c'est comment vous les mettez en oeuvre dans l'internet d'aujourd'hui. Un internet qui bouge très très vite d'année en année. La loi, de ce point de vue là, est trop stable. Autant la loi sur les principes de 78 elle est utile autant si on avait une loi très très concrète sur "comment on fait" serait très bien mais serait très vite périmée. En plus, la loi est forcément nationale, d'où l'intérêt d'avoir une charte dans laquelle on essaye d'associer les acteurs mondiaux. Une charte sur laquelle, derrière, on pourra dénnoncer ce qu'ils font et attaquer leur réputation, et sur internet, c'est une arme extrêmement puissante parce que la e-réputation c'est quelque chose de très sensible. Et enfin les tribunaux font de plus en plus référence aux chartes qui ont été signées par ailleurs dans leur jurisprudence. Parce que ça bouge tellement vite sur internet que les juges ont besoin de références et ils viennent les chercher dans les chartes. Les acteurs d'internet qui les signent savent qu'en les signant ils prennent des engagements qui pourront éventuellement être invoqués devant un tribunal.
FB : Merci Nathalie Kosciusko-Morizet dêtre venue nous parler du droit à l'oubli numérique. Je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat au développement de l'économie numérique. Je vous souhaite une bonne journée.
NKM : Merci à vous.
En savoir plus : article sur le site du secrétariat d'Etat
Source : France Bleu Radio.
Crédit photo : P.Hounsfield.