Le tour de l'Allemagne en 40 ans : des anciens amis d'école parcourent 5098 kilomètres en randonnée
- De quand date votre amitié ?
Wolfgang Wilm : Heinrich est mon meilleur ami. Nous nous connaissons depuis 1945, lorsque nous avons intégré l'école Wilhelm Ebert. Nous avions également 42 autres camarades de classe.
- Comment était l'esprit de classe ?
Heinrich Dähn : La dernière année, nous n'étions plus que 12 élèves pour le baccalauréat. Les autres camarades ont préferé arrêter avant et se lancer dans la "vie". Certains d'entre nous révisaient parfois ensemble. Il y en avait un sur qui il était très facile de copier, il nous laissait même faire. Certains sont plutôt individualistes, c'est sûr, mais chez nous, il n'y avait pas de ça.
Wolfgang Wilm : On était tous très solidaires les uns des autres.
- Quelle condition physique aviez-vous ?
Heinrich Dähn : J'étais le meilleur de l'école en course de fond.
Wolfgang Wilm : Je faisais partie des gymnastes.
Heinrich Dähn : Nous n'étions pas mauvais au niveau sportif.
- Aviez-vous alors également un objectif sportif en voulant parcourir toutes ces régions ?
Wolfgang Wilm : Non, il ne s'agissait pas de faire le plus de kilomètres possibles. Notre plus grande randonnée ne fut que de 31 kilomètres, que nous avons parcouru en une journée. On a tout de même porté nos sacs jusque dans les Alpes. Par la suite, nous avons préféré louer des taxis pour transporter les bagages ou on demandait aux hôteliers de s'en occuper. Nous avons toujours dormi dans des hôtels. (Il s'adresse à Dähn) Vous étiez habitués à de meilleurs hôtels avec vos voyages d'affaires. Tu étais manager dans une entreprise d'huile minérale à un moment de ta carrière.
Heinrich Dähn : Mais au début, on était vraiment presque les seuls randonneurs...
Wolfgang Wilm : ... avec nos sacs sur le dos.
Heinrich Dähn : Lorsque nous avons commencé à trois, notre ami Peter Fuchs faisait alors également partie de notre groupe. La randonnée n'était pas encore le sport populaire qu'elle est maintenant. Au début des années 70, partir à pied n'était pas du tout à la mode. Nous avons traversé l'Allemagne du nord sans rencontrer aucun autre randonneur. Les premiers que nous avons vus, c'était dans la forêt de Teutoburg, en 1977.
Wolfgang Wilm sort une pile de papiers de son sac. Le premier document est une carte d'Allemagne, une ligne rouge montre la longue route complétée par les années. Ensuite, des fiches avec des tableaux. À chaque jour de randonnée correspond une ligne, un texte. Les personnes accompagnantes, les lieux et les hôtels sont mentionnés, ainsi que les prix des chambres. En 1970, une chambre simple coûtait 11,80 Marks (environ 6 Euros), en 1990 déjà 45 Marks (environ 23 Eurso), et 45 Euros en 2009. En moyenne, 18 kilomètres furent accomplis tout les jours.
Wolfgang Wilm : Les vacances de la Toussaint nous étaient réservées. Une semaine en Octobre.
Heinrich Dähn : C´était toujours programmé comme cela.
- Diriez-vous aujourd'hui que ces randonnées vous ont aidés à maintenir votre amitié datant de l'école ?
Heinrich Dähn : C'est sûr. Quand on se contente de se voir de temps à autre, pas longtemps, on ne parle finalement que de la pluie et du beau temps, les discussions s'essoufflent vite. Quand on part, c'est différent. Nous marchions à deux ou trois, côte à côte, et nous avons parlé du monde, de Dieu. On a parlé de choses personnelles, on a discuté politique et économie... Nous étions tous dans le monde des affaires, sauf Wolfgang qui était directeur d'école. Le seul tabou, c'était la maladie. On abordait le sujet vite fait, mais on ne rentrait pas dans les détails. Quand on côtoie quelqu'un longtemps, on remarque aussi les sujets sensibles pour les uns ou les autres et on sait par conséquent comment aborder certaines questions.
- Qui préparait les itinéraires ?
Wolfgang Wilm : C'était moi. Jürgen Schlüter, un autre camarade de classe, s'occupait lui le plus souvent des questions de logement. Nous avions décidé de partir du nord en direction du sud et nous ne voulions pas passer par de grandes villes genre Cologne.
Heinrich Dähn : Wolfgang était le meilleur pour dénicher de bons itinéraires. Nous n'utilisons pas de sentiers marqués. On coupait souvent par la forêt. Vu que les cartes dataient un peu, il pouvait arriver que l'on atterrisse dans les broussailles. Mais Wolfgang savait quand même toujours où nous nous trouvions.
Wolfgang Wilm : Ça vous est aussi arrivé de vous rebeller ! Vers Traben-Trarbach, au bord de la Moselle, vous ne vouliez pas descendre vers la ville, mais plutôt continuer à marcher en hauteur. Nous avons quand même fini par descendre vers la Moselle et nous nous sommes arrêtés à Traben-Trarbach.
- Il n'y a pas beaucoup de personnes qui ont exploré l'Allemagne comme vous l'avez fait. En quelle mesure votre image de l'Allemagne a-t-elle évolué ?
Wolfgang Wilm : Je ne saurais dire si j'avais avant une image précise de l'Allemagne.
Heinrich Dähn : Je me suis rendu compte du nombre de paysages différents en Allemagne : la côte de la Mer du Nord, celle de la Mer baltique, Heide (très ancienne ville du Nord de l'Allemagne), le massif montagneux de l'Hunsrück, la plaine du Rhin, l'Allgäu. Les habitants de ces régions se différencient également, ils ont chacun leurs particularités. On remarque aujourd'hui encore que l'Allemagne était autrefois un ensemble de tout petits pays. Et l'Histoire continue à laisser des traces dans le pays...
Heinrich Dähn : Oui. En octobre 1989, lorsque beaucoup d'habitants de la RDA prirent la fuite en direction de la Hongrie, nous étions en Bavière. Nous en avons bien entendu discuté. Certains pensaient que ça ne pouvait pas bien se terminer, qu'il y aurait un bain de sang. La situation était vraiment dangereuse. Les autres croyaient quant à eux à la réunification.
Wolfgang Wilm : Je le croyais vraiment.
Heinrich Dähn : Moi, je me disais : il va encore se passer quelque chose ensuite.
Wolfgang Wilm : Une fois le mur tombé et l'Allemagne réunifiée, on a décidé de modifier notre plan de route initial et avons décidé de passer également par les régions de l'Est.
Heinrich Dähn : C'est ainsi qu'on a pu observer, année par année, la renaissance de l'ancienne RDA. C'est vraiment comme ca qu'on l'a ressenti. Les toits défectueux furent réparés, les murs retrouvèrent des couleurs, les rues furent rénovées. C'était très impressionnant.
- Avez-vous appris d'autres choses lors de vos voyages ?
Heinrich Dähn : Wolfgang est très calé en ce qui concerne la nature : les voix des oiseaux, les particularités des coccinelles, la formation des nuages, les phénomènes météorologiques...
Wolfgang Wilm : J'ai étudié un peu la biologie, toutefois, j'ai découvert la biologie animale que lorsque nous avons commencé notre tour. Les plantes, et les animaux au bord du chemin. L'argiope frelon par exemple, cette grosse araignée jaune rayée, celle-là, je l'ai montrée aux autres...
Heinrich Dähn : On ne voit que ce que l'on connaît. Là, Wolfgang nous a ouvert les yeux. Notre camarade de classe Horst Brauel triait les choses que nous rencontrions selon un point de vue historique. Il y avait beaucoup de talents différents et précieux. Chacun apportait quelque chose au groupe.
Les listes restant encore sur la table à côté des restes du petit déjeuner nous montre à quel point ce projet fut documenté au millimètre près. Pas un kilomètre ne fut oublié. Dans les statistiques métérologiques, les traits au crayon jaune représentant le soleil sont bien plus nombreux que les jours de pluies marqués de bleu. 3045 photos ont été prises, 187 plans ont été utilisés, et 478 cartes postales ont été envoyées.
- Quel fut le moment le plus excitant pour vous ?
Wolfgang Wilm : Dans les Alpes, dans le massif du Wetterstein (situé entre la Bavière et l'Autriche). Nous marchions sur un sentier très étroit en montagne, à côté de nous, deux cents, trois cents mètres de vide. Il y avait une échelle en bas. Le chemin avait glissé. Il n'y avait qu'une corde. Nous avons du nous maintenir à elle au dessus de la pente. Un d'entre nous resta bloqué au milieu et ne pouvait ni reculer, ni avancer. Je suis alors retourné sur mes pas et me suis accroché à la corde, derrière lui. Nous avons réussi ainsi, pas à pas, à surmonter cette étape ensemble.
- Votre plus beau moment ?
Heinrich Dähn : Nous avions tous des professions prenantes. Pour moi, les plus beaux moments, c'était les pauses. Être étendu dans l'herbe, profitant d'être ensemble.
- Comme réagissent les autres quand vous parlez de vos aventures ?
Heinrich Dähn : Ils nous envient.
Article traduit de l'Allemand par Anne-Louise Lambert.
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