L'élève Ducobu : un cancre qui réussit
Le dessinateur Godi, de son vrai nom Bernard Godisiabois, n'est pas du genre chahuteur. C'est un grand garçon placide de tout juste 60 ans qui a mené jusqu'ici sa carrière discrètement, appliquant à la lettre le proverbe flamand : " Reste à ta place, c'est déjà assez prétentieux comme cela ! " Il est émoulu de l'Institut Saint-Luc à Bruxelles où fut créée en 1968, à l'instigation d'Hergé, la première école de bande dessinée d'Europe qui, depuis, a produit quelques talents fameux comme Philippe Francq (Largo Winch) ou François Schuiten (Les Cités obscures). Il a comme condisciple le dessinateur Andréas (Rork, Capricorne) et... Plantu. À l'époque, c'est le dessinateur Eddy Paape (L'Oncle Paul, Marc Dacier, Luc Orient...) qui y dispense les ficelles d'un métier jusque là empirique. Il lui ouvre les portes du Journal de Tintin, le fameux hebdomadaire des " 7 à 77 ans ".
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Au début des années 1990, cela commence à marcher pour le jeune dessinateur bruxellois : Casterman prend sa série Diogène Terrier qui comptera cinq volumes. Il multiplie les collaborations pour Spirou où oeuvrera bientôt Zidrou, un espoir du scénario humoristique, enthousiaste et communicatif. Ensemble, ils vont créer L'Élève Ducobu, à la rentrée de 1992 pour un journal distribué principalement dans les écoles en Belgique : Tremplin. Un instituteur devenu scénariste
Zidrou n'a rien d'un père tranquille. Il est plutôt du genre chahuteur. L'école, ça le connaît : il a commencé dans la vie comme instituteur. Ce sont ses qualités d'enseignant qui le font entrer comme secrétaire de rédaction pour les revues belges Doremi, Bonjour, Dauphin et Tremplin, une collection de magazines éducatifs publiés par les éditions Averbode, un label éditorial fondé en 1887 par des chanoines prémontrés. Ils destinent leurs publications, publiées en deux langues : le français et le néerlandais, aux familles catholiques belges.
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La naissance de Duconu
Godi est un collaborateur régulier de ces journaux pour lesquels il produit force illustrations et pages de bandes dessinées. En septembre 1992, Zidrou fait appel à lui pour illustrer un gag mettant en scène un copieur. C'est l'élève Ducobu. La thématique plaît aux enseignants qui conseillent l'éditeur. Ils lui demandent de la prolonger quelques temps. De fil en aiguille, le format changeant, on y ajoute des couleurs d'appoint. Une semaine, c'est le rouge : Léonie Gratin aura une robe à pois rouges. La semaine suivante, ce sera le jaune. C'est pourquoi le pull de Ducobu est rayé de jaune et de noir. Quand la série passe à la couleur, ces codes vestimentaires s'installent.
Juste avant l'été, Zidrou pense envoyer son personnage définitivement en vacances. Il a l'impression qu'il en a tiré tout ce qu'il pouvait et envisage de le renvoyer dans les oubliettes de l'histoire. Il fait un dernier gag où, par boutade, la petite copine de Ducobu, Léonie Gratin, demande aux lecteurs d'aider son cancre, puni par Monsieur Latouche et obligé à recopier des dizaines de fois : " Bonne et heureuse année ". Il y avait deux T-shirts à gagner. Il fallait que les lecteurs renvoient des feuilles sur lesquelles ils avaient copié deux mille fois la même phrase. L'éditeur reçoit du courrier par sacs entiers. En cent ans d'édition, les éditions Averbode n'avaient jamais connu cela !
Comme la vieille maison catholique ne fait pas d'albums de bande dessinée, Zidrou propose son personnage au Lombard. Les albums, pourtant tirés au début à 6000 exemplaires, remportent rapidement un joli succès grâce au fait que la série Ducobu est maintenant publiée dans Le Journal de Mickey. La série décolle.
Le cancre de Saint-Potache
Essayant d'échapper à la pension, l'élève Ducobu, élève à Saint-Potache, est prêt à tout pour réussir ses examens. Mais il s'investit bien plus dans d'ingénieux complots (on découvrira un jour que le mauvais élève a un QI de 280 !) pour tromper la vigilance du vétilleux Gustave Latouche, son instituteur, que pour étudier vraiment.
Ducobu est le voisin de pupitre de Léonie Gratin, une élève brillante à la copie fiable, qu'il vouvoie avec obséquiosité et avec laquelle il a fini par se lier d'amitié. Autour de ce couple central, les gags se multiplient et l'élève Ducobu est souvent envoyé au coin rejoindre les Martin-Squelettes Rotule et Néness (ce dernier étant un cadeau du cancre à son copain en plastique Made in China). Comme compagnon, Ducobu a aussi Rik Spoutnik Magazine que l'instituteur Gustave Latouche lui confisque régulièrement, au point qu'il en est devenu lui-même un collectionneur mordu.
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L'aventure cinématographique
À un moment, la série est optionnée par un producteur de dessins animés pour un projet de série de 52 épisodes de 6 minutes. Mais Titeuf et Cédric occupent l'écran avec succès et le développement ne se fait pas.
Arrive enfin le film live du personnage. C'est le réalisateur Philippe de Chauveron, scénariste de Neuilly ta Mère ! qui en assure la réalisation, écrivant l'adaptation avec son frère Marc. Il avait découvert la série en remarquant que ses neveux et ses nièces en étaient accros.
Les auteurs, pourtant associés à l'adaptation de leur BD, lui laissent carte blanche. Il invente de nouvelles situations, de nouveaux personnages, comme la professeure de musique Mademoiselle Rateau (jouée par Joséphine de Meaux) dont Latouche est épris qui, en retour, apparaîtra bientôt dans la bande dessinée. Les parents sont plus complexifiés et la classe est bien plus étendue que dans la BD. Le caméléon Elie Semoun incarne l'instituteur " vieille école " avec une redoutable efficacité. Pour jouer ce rôle, l'acteur a travaillé avec des enseignants comme coachs.
Le jeune Vincent Claude, repéré dans Le Petit Nicolas, nous offre un Ducobu plus enjoué que nature. Quant à Juliette Chappey, elle incarne Léonie avec une présence remarquable.
Qui aurait cru que le cancre joufflu de Zidrou et Godi puisse faire un tel parcours ? Certainement pas ses auteurs qui ont dû se pincer lorsqu'il leur a fallu monter les marches pour la présentation de leur film au Festival de Cannes, quelques semaines après le Festival d'Angoulême.
À chaque étape, des milliers d'enfants font la claque, à défaut de la classe, au grand étonnement de Godi dont la discrétion naturelle s'accommode peu de ces fastes.
Didier Pasamonik
Sortie nationale le 22 juin 2011.