Michel Muller : j'ai été professeur de mathématiques
- Qu'est-ce qui vous donnée l'idée de faire ce film ?
Il y a d'abord eu une série en 2007, lors de la dernière présidentielle. J'adore la politique et pour préparer cette série j'avais rencontré pas mal de communicants. J'étais intéressé par ce lien qu'il y a entre les hommes de l'ombre qui gravitent autour des candidats et qui finalement, ont beaucoup de pouvoir sur eux. Ils arrivent à leur souffler à l'oreille ce qu'ils vont dire ou faire dans l'instant d'après. J'ai vu 50 heures de rush d'un communicant suivant un candidat. Dans les 50 heures, il y a peu de choses intéressantes et puis tout à coup, il y a des perles. On voit alors que le candidat est fatigué physiquement. Une campagne c'est éprouvant, un véritable marathon. À un moment donné, il peut avoir 4 ou 5 types autour de lui qui vont lui dire comment réagir, comment rebondir, comment répondre au clan d'en face. J'avais envie de rigoler un peu de ça car c'est troublant l'importance qu'ont prise ces agences de communication.
- Est-ce que vous auriez pu faire de la politique ?
Je pense que ça m'aurait bien plu, mais j'y ai réfléchi trop tard. Non, je ne pense pas avoir le talent pour ça. C'est beaucoup d'abnégation. J'ai rencontré bon nombre d'hommes politiques. C'est beaucoup de boulot, certains bossent plus de 15h par jour. C'est très violent. C'est ce que tout le monde dit mais c'est vrai. Il faut passer son temps à séduire et ce n'est pas trop mon truc. Il faut répéter les choses à chaque rencontre, c'est assez étrange comme métier.
- Est-ce que vous avez envie de vous engager politiquement ?
Tout le monde me pose la question ! Non, je ne me vois pas m'engager publiquement. Bien sûr, je ne suis pas insensible. On voit bien que certains réussissent mieux que d'autres et parviennent, malgré la com', à retrouver un brin de sincérité. Mélenchon fait de ce point de vue là une campagne assez dense. Il m'a piqué ma place de 3ème homme ! On sent qu'il a une foi et une énergie qui surprend et réveille un peu la campagne. J'ai même croisé des communicants de droite qui disent chapeau ! Il est semble-t-il conseillé par un très bon mais on sent qu'il n'est pas qu'une marionnette.
- Pierre Hénaut dit que c'est Jean Jaurès qui lui a donné envie de faire de la politique dans son enfance. Et vous, quel métier rêviez-vous de faire lorsque vous étiez enfant ?
Je crois que c'est astronaute mais je ne suis plus très sûr...
- Quel genre d'étudiant étiez-vous ?
Très studieux, j'ai fait beaucoup d'études : maths sup, maths spé. Je suis devenu ingénieur, puis prof de mathématiques. Je n'étais pas très littéraire mais les maths m'amusaient. Je suis une bille en orthographe. Ce qui m'a presque empêché de devenir enseignant. J'essayais de masquer mes fautes en laissant mourir la craie à la fin des mots. Les élèves me disaient : "Mais monsieur, c'est "ent" à la fin. " et je répondais : "Oui, ça y est si vous regardez bien".
- Qu'est-ce qui vous a fait quitter le monde de l'enseignement ?
Je faisais ça comme ça, parce que j'aimais bien les maths et aussi enseigner. Mais je n'ai jamais pensé y faire carrière. C'était à l'époque où on cherchait beaucoup de profs, notamment de maths. J'avais une équivalence qui m'a permis de rentrer à l'éducation nationale. C'était super ! Et puis j'ai croisé un producteur, Claude Martinez, qui avait produit Coluche qui m'a dit : "Allez, on loue le Splendid et tu y vas.". Je me suis dit qu'il fallait tenter l'expérience et c'est comme ça que j'ai quitté l'enseignement.
- Est-ce que vous faisiez de l'humour avec vos élèves ?
Un peu de temps en temps. Les élèves accueillaient ça plutôt bien mais je ne sais pas si j'étais un bon pédagogue pour autant. J'aimais bien le fait de transmettre un savoir et les mathématiques, c'est très ludique. Ce contact avec les élèves me plaisait bien. De temps en temps, on faisait des combats de craie. À l'époque, je ne sais pas pourquoi, je portais des Santiags et un blouson en cuir, les élèves me voyaient plutôt comme un mec cool, surtout que je n'étais pas beaucoup plus âgé qu'eux. J'avais 25 ans, on se disait que j'étais le prof mais on sentait que mes années de lycée n'étaient pas si loin...
- Avez-vous gardé contact avec vos élèves ou vos anciens collègues ?
J'ai recroisé quelques élèves en boite de nuit et un au café en bas de chez moi ! Quand je suis allé au bar-tabac, ce jeune homme me dit : "M. Muller, vous vous souvenez de moi ?". Je ne me rappelais absolument pas de lui. "Mais si vous étiez prof au Raincy. Vous ne vous rappelez pas ? Je vous disais que la règle de 3 ne servait à rien et vous disiez que si et bien vous aviez raison, aujourd'hui je m'en sers tous les jours !". On a sympathisé et il tient le café à côté de chez moi.
J'ai aussi enseigné en prison à Poissy. Étrangement, c'était beaucoup plus facile d'enseigner en prison qu'au lycée. Les élèves prisonniers avaient envie de travailler, de s'en sortir, la motivation n'était pas la même. Ils passaient un diplôme et je suis assez fier, car ils l'ont tous eu ! Les mathématiques nous permettaient de dialoguer et d'échanger. Je me souviens que le directeur de la prison nous avait pris à part et nous avait dit : "Si vous vous engagez là-dedans, vous n'avez pas le droit d'être absent. C'est le rendez-vous qu'ils attendent dans la semaine.". Ça m'a mis du plomb dans la tête et s'était très motivant. L'un des diplômés m'avait dit : "Si tu veux tu peux croquer.
- Croquer quoi ? ". C'est là que j'ai compris qu'il avait un magot de côté et qu'il m'en proposait une partie. Je lui ai dit : "Mais non, je ne croque pas.
- T'inquiète, ce n'est pas de l'argent sale !". C'était énorme, il était tellement heureux d'avoir son BTS qu'il était prêt à me donner un billet.
J'ai recroisé un élève qui m'a dit: "On se doutait que vous n'étiez pas vraiment prof de maths.". Je l'ai pris moyennement mais je n'ai pas cherché à creuser de peur de me faire du mal.
- Si vous pouviez voyager dans le temps, à quelle période de votre scolarité remonteriez-vous ? Quelle cours aimeriez-vous revivre ? Pourquoi ?
La quatrième. J'avais un professeur de lettres formidable : M. Floche. Il y en a peu qui nous marquent. Dans une scolarité, on se souvient surtout d'un ou deux profs. Lui était un prof de philosophie qu'on avait mis dans les petites classes pour le punir. En 1981, c'était l'année des élections et lui devait être un peu gauchiste. On arrivait en cours et il nous disait qu'il n'avait pas envie de faire l'interro. Il demandait : "Bon, toi, tu veux quelle note ?
- Douze.
- Non, tu ne vaux pas douze, je te mets dix.
- Onze.
- OK, onze.
Je trouvais ça incroyable. On s'amusait à le piéger. Par exemple, on mettait les chaises dos au tableau et lui composait avec ça. Il prenait ça comme une proposition, cela l'amusait alors il rebondissait sur la situation.
Il ouvrait nos jeunes esprits. Il m'avait fait faire un dossier sur le journalisme et l'objectivité. J'étais allé à l'AFP, je me battais en disant qu'on pouvait être objectif. C'était en avance sur notre programme, c'était déjà de la philo et ça a marqué tous les camarades que j'ai revus depuis.
- Qu'est-ce que l'école vous a appris de la vie ?
Elle m'a surement appris beaucoup de choses comme l'injustice mais surtout la camaraderie. Je me rappelle du plaisir d'aller à l'école pour retrouver mes amis et faire des conneries ensemble.
- Quelle est votre plus grosse bêtise ?
Je ne peux pas raconter ça, allez, si il y a prescription. J'étais un emmerdeur de temps en temps et j'aimais pousser certains profs à bout. L'un d'eux avait tapé du poing sur la table et avait dit ça suffit. Quand il a dit ça, nous avons tous vu sa perruque se faire la male. Ses cheveux sont partis sur la droite, on a aperçu un bout de crane et tout le monde est resté pétrifié. C'est étrange, on pourrait penser qu'une situation burlesque comme ça nous aurait fait rire mais non. Il y a eu un instant de flottement, il a remis son postiche en place et a continué son cours. Je m'en suis voulu après car c'était affreux pour lui de vivre ça. Je n'ai pas été viré mais puni.
- Etiez-vous populaire ?
Pas vraiment. J'aimais faire le pitre mais je ne le faisais pas très fort. Cela n'attirait que les trois ou quatre copains qui étaient autour de moi. J'aimais bien faire rire mes petits camarades mais je n'étais pas une grande gueule non plus. J'étais plus quelqu'un qui épuise les gens.
- Êtes-vous toujours en contact avec vos amis d'école ?
Certains oui. Il n'y en a pas beaucoup mais quelques-uns ne m'ont jamais quitté. Ce sont les premiers, bien souvent, qui viennent voir mes montages. Ils ne sont pas du tout du métier et ont des réactions brutes de décoffrage que j'aime bien. Ils sont francs. Et c'est drôle comme parfois, ils s'attachent à des détails anodins. Dans le film, il y a une lampe qui monte et qui descend. Lors de la scène, il y avait des fils pour réaliser le trucage. Et un ami vient me voir et me dit : "Bon, je ne crois pas que les autres ont noté, mais on voit le fil.
- Oui, c'est une copie de travail, ça va être effacé.
- Ah, ok. Mais ça va te prendre des heures de l'effacer."
Je voyais bien que ça l'avait perturbé cette histoire de fil. Souvent ils n'ont pas les avis les plus tendres mais ils me font du bien. On se retrouve aussi en dehors de ça heureusement !
- De quelle façon le monde de l'école a-t-il influencé votre carrière ?
L'école de théâtre a beaucoup influencé ma vie. Même si je faisais un peu le con, j'étais quand même assez réservé. J'ai commencé assez tard à 19 ans. La première fois que j'ai frappé à la porte d'un professeur formidable, qui enseigne toujours : Laurent Rey, je n'avais pas cogné assez fort. Personne n'a répondu et puis je me suis dit : "Allez arrête, tu sais très bien que tu n'as pas tapé assez fort.". Alors je suis revenu une semaine plus tard à Montreuil, on m'a ouvert, je me suis assis dans un coin et j'ai attendu. Monsieur Rey sait donner envie aux gens d'aimer le théâtre. J'avais écrit deux trois sketchs et il me prenait à part en me disant : "Viens, viens, on se prend une heure pour parler de ce que tu as écrit.". C'était un enseignement assez étonnant. Il y avait des gens qui préparaient le conservatoire avec des textes classiques et des gens comme moi qui écrivaient de petits sketchs. Tout ça lui parlait et on travaillait ensemble. C'était très agréable, c'était un laboratoire de recherche. Personne ne pensait en faire son métier.
- Voulez-vous partager une anecdote avec nous ?
Un jour, avant les vacances de Noël, je suis allé au lycée faire cours à la Courneuve en Père Noël. Je ne sais pas pourquoi, c'était n'importe quoi, les élèves m'ont tiré la barbe, mais le plus dingue c'est que j'ai fait le trajet en bus affublé de ce costume de Père Noël ! C'était loufoque, genre : le Père noël va au boulot. Les gens me souriaient dans le bus. Je faisais des choses expérimentales !
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Crédit photo : CTV.