Mme Colombet m'a sauvée, elle nous a sauvés
- Quelle est votre fonction ?
Je suis professeur d'anglais.
- Depuis combien d'années enseignez-vous ?
J'enseigne depuis 1986. Entre 1986 et 1987 j'étais assistante.
- Quel est votre parcours ?
J'ai fait une faculté d'anglais puis je suis partie un an au Canada en tant qu'assistante de français. J'ai commencè à enseigner le français, en tant que langue étrangère, au Canada. À mon retour j'ai préparé le CAPES. J'ai été ensuite Maîtresse auxiliaire, ce qui équivaut à un poste de professeur mais sans avoir le CAPES. C'est le même emploi mais avec un salaire bien moins élevé. Ce statut n'existe plus même s'il existe encore beaucoup d'emplois précaires dans l'Éducation Nationale (on les appelle des vacataires).
J'ai enseigné au GRETA à partir de 1988, un établissement d'enseignement pour adultes à Albertville. Cela correspondait à la préparation des Jeux Olympiques d'Hiver que cette ville allait organiser en 1992. Toute la vallée de la Tarentaise se mettait à l'anglais en vue de la préparation de ces Jeux. J'ai donc aussi enseigné au sein des entreprises, j'ai fait passer des tests aux moniteurs de ski, aux perchmen, à la SNCF... C'était principalement des cours du soir ou en entreprises.
J'ai ensuite connu mon mari et les horaires de la formation continue ne convenaient plus à mon rythme de vie, une vie de famille. J'ai travaillé quelques mois dans le privé où j'enseignais à des BTS. J'étais mal payée par rapport au boulot que j'avais et je n'y voyais pas tellement d'avenir. Au bout des trois mois d'essai, j'ai décidé de quitter l'entreprise et à ce moment-là, on m'a proposé un remplacement de congé maternité, maîtresse auxiliaire à nouveau, dans un lycée à Albertville. J'ai remplacé la femme du sous-préfet d'Albertville qui était professeur d'anglais, anglophone, agrégée et donc enceinte. J'étais assez impressionnée de la remplacer, moi la débutante. C'était une cité scolaire, j'enseignais alors de la 6ème à la Terminale. J'ai essayé de me rapprocher de la région d'Annecy où nous vivions en y demandant un poste de maîtresse Auxiliaire.
J'ai une petite anecdote à ce sujet. Je me suis mariée le 7 septembre et le lendemain de mon mariage, le lundi 8 donc, je reçois un coup de téléphone du Rectorat qui m'informe avoir un poste pour moi... à Moutiers ce qui était assez loin. Habituellement, je ne faisais pas la difficile car on avait de la chance si on décrochait un poste. Mais là, ça a été le cri du coeur. : "Oh non ! Je viens de me marier ce week-end, je n'ai pas envie de quitter mon mari toute la semaine ! ". On m'a dit "Écoutez, on vous rappellera cet après-midi. On va voir ce que l'on peut faire. ". Et dans l'après-midi, on m'a rappelée pour me dire que j'avais un poste tout près de chez nous, de l'autre côté du lac d'Annecy !
J'ai enseigné dans ce petit collège en préparant en parallèle le CAPES. C'était une époque très difficile où il y avait très peu de places au CAPES et travaillant à plein temps j'avais énormément de difficultés à préparer mes cours et cet examen. Je n'ai pas eu mon CAPES immédiatement.
En 1995, j'ai été affectée à un poste fixe à plus de 60 kilomètres de mon domicile, j'ai donc eu la possibilité de demander un remplacement plus près. J'ai continué à alterner lycée et collège dans les environs d'Annecy. Mon mari a alors été muté sur Chambéry, nous avons décidé de nous y installer. J'ai donc fait une demande de mutation. Je n'ai pas fait ma difficile, j'ai demandé tout poste sur Chambéry et j'ai eu un poste dans le collége de Côte Rousse en ZEP (zone d'éducation prioritaire). J'étais ravie d'être à Chambéry où nous avions acheté une maison.
Je suis restée huit ans dans ce collège en ZEP. J'aurais pu partir avant mais c'était un collège et j'avais un peu d'appréhension de partir en lycée. J'aimais beaucoup le collège, c'était difficile bien sûr mais j'aimais enseigner l'anglais en ZEP parce que les élèves sont plus entousiastes. On voit davantage le boulot qu'on fait, la progression de l'élève. On les prend au début de leur apprentissage, on voit où on les emmène.
Mais après huit ans d'enseignement en zone difficile, j'ai demandé ma mutation pour tout poste sur la commune de La Ravoire. Ainsi, j'ai obtenu en 2007 un poste au sein du lycée dans lequel je travaille toujours : le lycée du Granier.
Pour résumer, j'ai fait une dizaine d'années de Maîtresse auxiliaire, huit ans de ZEP en collège et je suis dans ma cinquième année de lycée.
- Quel métier rêviez-vous de faire lorsque vous étiez enfant ?
Hôtesse de l'air ! Je crois que c'est parce que ma soeur Martine m'avait acheté un livre. C'était je crois "Shirley... quelque chose" dont le personnage était une hôtesse de l'air. Et puis j'aimais beaucoup les voyages. J'aimais déjà l'anglais mais je n'avais pas du tout l'idée d'enseigner.
- Quel souvenir gardez-vous de votre scolarité ?
J'étais plutôt une élève... turbulente, j'aimais bien mettre le souk au lycée. Jusqu'au collège j'étais très appliquée. À partir du lycée où j'étais interne, j'ai eu de grosses difficultés en mathématiques. J'ai négligé cette matière et puis il n'y avait que l'anglais et le français qui m'intéressaient. J'étais plutôt une élève rebelle.
- Il s'agit de souvenirs de professeurs en particulier qui vous faisaient aimer le français, l'anglais ou bien ces matières vous plaisaient d'elles-mêmes ?
Il y a eu des professeurs qui m'y ont donné goût, oui. Tout comme il y a eu des profs de maths que j'ai détestés parce que j'étais nulle. L'enseignement des mathématiques était hyper douloureux, humiliant. À l'époque, les enseignants nous envoyaient au tableau. Au lycée, comme on était en section littéraire, on nous avait mis un vieux prof. On n'a rien appris pendant trois ans. J'ai eu zéro au bac en mathématiques ! J'ai raté mon bac cette année là, mais je l'ai eu l'année suivante. Et voici que je dois rendre un hommage à notre professeur de mathématiques qui nous avait fait reprendre les bases depuis le niveau CE1 ! Elle savait qu'on n'avait pas fait de mathématiques pendant trois ans. Elle a fait un boulot extraordinaire en reprenant les bases. Elle nous a emmené de rien à... j'ai eu 11 au baccalauréat. C'était extraordinaire de partir de si bas et d'arriver au-dessus de la moyenne. Je ne l'ai jamais revue pour la remercier. Madame Colombet ! Elle m'a sauvée. Elle nous a sauvés.
- Et en anglais, des professeurs vous ont-ils autant marquée ?
En anglais, j'avais eu des bonnes notes à mon premier bac et toujours des bonnes notes à ma seconde tentative.
J'ai eu des belles rencontres avec des enseignants. J'ai démarré en 6ème avec une femme qui était de mon village (Madame Anselme). Il y a eu un lien affectif avec elle. J'ai aimé l'anglais dès le départ et puis j'ai eu la chance de partir en Angleterre pendant trois semaines en 1976 grâce au comité d'entreprise de l'usine où travaillait mon père. Ça a été une rencontre formidable, l'Angleterre c'était un fantasme : les années soixante-dix...
- Avez-vous gardé contact avec vos camarades de classe et comment ?
J'ai retrouvée une camarade récemment que j'avais connue à l'internat du lycée. Fabienne est devenue infirmière dans le lycée où je travaille maintenant. On s'est retrouvées grâce au travail.
Depuis que je suis revenue sur Chambéry, j'ai retrouvé certaines filles : Marianne qui était au collège avec moi et puis Anne qui était ma voisine. J'ai retrouvé Marianne par hasard. Son mari travaille à l'EDF et était venu nous installer nos compteurs. Une autre fois, une ancienne camarade de classe m'avait reconnue car on s'était retrouvé à enseigner dans le même établissement, elle était devenue professeur de français.
- À quelles occasions vous réunissez-vous ?
Non, nous ne nous retrouvons pas vraiment même si j'ai été invitée à l'anniversaire de Fabienne récemment. Je n'ai jamais fait de retrouvailles organisées.
- Êtes-vous déjà retournée dans les établissements de votre parcours scolaire ?
Oui. Parfois en tant qu'examinatrice pour faire passer les épreuves du baccalauréat ou d'autres examens. C'est étrange d'y retourner en étant passée du statut d'élève à celui de professeur. Ma fille aînée a été scolarisée dans l'établissement où j'ai eu ce fameux zéro en mathématiques (le lycée Vaugelas).
- Avez-vous gardé contact avec vos anciens élèves ?
Je n'ai pas gardé de contact mais j'ai pu rencontrer à nouveau des personnes qui avaient été mes élèves par hasard. Je les croise dans la rue, etc.
J'ai un souvenir très émouvant d'une élève qui était très rebelle dont je m'étais pas mal occupée en ZEP. Maya arrivait de Bosnie, son papa était mort à la guerre. C'était une famille qui avait beaucoup souffert. Un jour, elle a arrêté sa voiture en pleine rue à Chambéry pour venir m'embrasser, me remercier. Elle était devenue prof d'anglais. C'est une belle histoire. Elle avait un don pour les langues suite à son parcours de réfugiée dans différents pays avant d'arriver en France. Et puis elle a accroché avec l'anglais.
J'ai revu plusieurs élèves de ZEP qui sont devenus surveillants dans l'établissement où je suis aujourd'hui. C'était des élèves très difficiles qui se retrouvent maintenant à être surveillants, c'est une belle histoire aussi. Ils ont fait des beaux parcours.
- Quel regard portez-vous sur les élèves actuels ?
Ça n'a rien à voir avec l'époque où j'étais élève. Comment expliquer ? Ce n'est plus du tout le même monde dans lequel on vit. Cette ouverture, les nouveaux modes de communication et internet ont complètement changé la donne. La présence des téléphones portables en classe par exemple. C'est un élément qui change tout parce que les élèves ne sont plus en classe, ils sont dans différents endroits à la fois. C'est le problème de l'instantané, le fait d'avoir tout tout de suite en matière d'information alors que l'enseignement se joue sur le long terme. Pour nous, les enseignants, ça change vraiment beaucoup de choses. Bien sûr, c'est un outil que l'on manipule aussi, mais pas autant que les élèves. Et ça nous interroge, nous pose problème et nous force à fonctionner autrement. Il faut trouver d'autres moyen d'enseigner et de capter l'attention des élèves. On n'enseigne plus de la même façon qu'au début de ma carrière. On ne fait plus les mêmes cours.
- Et cette nouvelle façon d'enseigner s'apprend de quelle façon ? Avec l'expérience ?
On a quelques pistes par le biais des formations mais c'est avant tout par l'expérience. On tatônne, on se trompe mais il faut de toute façon faire autrement. On ne peut plus faire cours comme lorsque je suis devenue professeur.
Et puis l'enseignement des langues a beaucoup changé aussi. On est beaucoup plus axés sur l'oral alors qu'avant on privilégiait plus l'écrit. On faisait beaucoup d'études de textes, de civilisation, maintenant on est heureusement beaucoup plus dans la communication. On n'est moins sur l'estrade à prêcher la bonne parole : il faut mettre les élèves en activité, en interraction. C'est plus compliqué mais ça rend l'enseignement plus intéressant.
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Crédit photo : DR.