Notre instituteur a été mon modèle pendant toute ma carrière d'enseignante
- Qui a eu l'idée d'organiser ces retrouvailles ?
C'est moi ! Le point de départ de ces retrouvailles, c'est l'hommage à notre instituteur M. Lécot. Il a été mon modèle pendant toute ma carrière d'enseignante. J'ai été dans sa classe en fin d'étude 1, fin d'étude 2 et une année de plus car ma mère n'avait pas les moyens de m'envoyer au collège dans la ville voisine. L'école m'a sauvée de ma condition. L'école était alors l'ascenseur social de la république.
- Comment se déroule votre recherche d'anciens élèves ?
Suite à l'envoi sur internet d'une photo de classe par un ancien camarade de Branne, j'ai réussi, grâce à ma bonne mémoire, à nommer les personnes présentes sur les clichés. Sur 81 personnes identifiées, j'en ai retrouvé 73. Grâce à l'annuaire, j'ai donc commencé à les contacter par téléphone et via votre site.
Ma mère qui a 88 ans m'aide beaucoup dans mes recherches. Elle contacte ses amis qui connaissent les familles de Branne.
Beaucoup sont toujours dans la région. Nous faisons partie d'une génération qui n'était pas aussi mobile qu'aujourd'hui. Nous sommes tous nés entre 1940 et 1946. 90 % d'entre nous sont restés en Gironde qui est le plus grand département de France. Parmi le peu d'expatriés, un se trouve en région parisienne, deux à Dreux qui ne savaient pas qu'ils étaient dans la même ville, plusieurs dans le Gard, à Grenoble et en Dordogne. J'ai téléphoné à tous sauf à trois d'entre eux qui ne sont pas dans l'annuaire mais qui ont été contactés par courrier. En effet, tous ont déjà reçu deux courriers de ma part pour annoncer ces retrouvailles.
Nous avons déjà fait une réunion le 1er avril chez ma mère avec 12 personnes pour organiser ce grand rassemblement d'août. C'était très drôle car nous ne nous sommes pas tous reconnus, les ans ayant fait leur oeuvre ! Ce fut très joyeux et nous avons déjà échangé beaucoup d'anecdotes.
Notre classe est issue des années de guerre. Je travaille sur ce thème car je suis passionnée par l'inconscient collectif. Je suis née en 1944 à Bordeaux, l'année la plus sanglante où Maurice Papon était secrétaire général de la préfecture de Gironde. Nous avons un devoir de mémoire. J'ai dressé la liste des enfants juifs arrêtés à Branne en 42 et 44, assassinés à Auschwitz. J'ai d'ailleurs contacté Monsieur Serge Klarsfeld mais sans réponse pour le moment. J'ai été élève de l'École Normale pour devenir enseignante de français et d'anglais en collège. Je suis patriote et républicaine.
Branne comptait 700 âmes et toutes les familles se connaissaient. On ne sortait jamais de son village à l'époque. C'est certainement ce qui facilite mes recherches. Sauf pour les filles qui perdent leur nom en se mariant. Comme il y avait des filles de gendarmes, j'ai contacté l'amicale des retraités de la gendarmerie et je les ai mis à contribution ! J'ai également contacté le quotidien Sud-Ouest.
Je suis toujours stupéfaite lorsque j'annonce mon nom au téléphone que les gens se souviennent de moi.
- Combien de temps cela vous a-t-il pris pour organiser cette réunion ?
J'ai commencé en août dernier pour les premières recherches avec six heures d'enquête quotidiennes. Je prépare une exposition avec un panneau par année. Les dates de naissance des élèves seront accompagnées des grands événements en France et dans notre village. Ma mère était employée chez des résistants qui ont été déportés ou exécutés. Je fais là oeuvre de mémoire. Je vais peut-être passer à l'écriture d'un livre car ce travail m'apporte de la chaleur humaine. Les drames liés à l'enfance sont terribles. En faisant ce type de recherches, on découvre des secrets de famille. La psycho-généalogie me passionne. Pour deux d'entre nous, ce ne sera pas sans conséquences.
- Était-ce difficile ?
Non, car je suis organisée et comme ancienne maire-adjointe à la culture j'ai l'habitude d'organiser des événements. Notre réunion aura lieu le 08 août, jour de la traditionnelle fête du village. C'est aussi un cadeau que je fais à ma mère qui aura 89 ans le 07 août. C'est un témoin historique important car elle est l'une des dernières mémoires du village. Elle se souvient des déportations des familles juives comme si c'était hier. Je suis née à Bordeaux pendant les rafles de 1944. Je ne l'oublie pas.
- Les retrouvailles auront lieu dans l'établissement ?
Oui, la réunion commencera dans la cour de l'école de garçons. À l'époque, il y avait une cour pour les filles et une autre pour les garçons et pas le droit d'aller se voir les uns les autres, on attendait la fin des cours ! Le bâtiment était constitué du bloc républicain traditionnel : l'école des filles, l'école des garçons, la mairie et des logements pour les enseignants.
- Combien de personnes ont été invitées ?
73 personnes sont invitées et je compte sur une cinquantaine pour venir le jour J. Malheureusement, beaucoup sont malades et ne pourront pas être là. Il y a également neuf anciens élèves qui sont décédés alors qu'ils n'avaient qu'une quarantaine d'années. Pour le moment, vingt anciens élèves sont inscrits pour l'événement.
- Qu'allez-vous faire lors de ces retrouvailles ?
Nous avons rendez-vous à 10h dans la cours de l'école. Je confectionne des badges avec les portraits de chacun qui sont des agrandissements des photos de classe. Entre les calvities, les lunettes et les kilos, ça ne va pas être triste, il va falloir retrouver qui est qui !
Ensuite, nous avons prévu un pot de l'amitié suivi d'une réception avec le maire qui est l'un des nôtres. Nous irons ensuite nous restaurer à la salle des fêtes avec un buffet. C'est là que se tiendra l'exposition. J'espère que nous pourrons avoir une ambiance sonore de l'époque. J'ai délégué cette tâche à quelqu'un car même si cela m'intéresse, je ne peux malheureusement pas tout faire !
J'ai envoyé une requête à chacun car nous sommes en Gironde non loin de l'appellation St Emilion. J'espère qu'ils joueront le jeu en apportant leurs bouteilles. Il y a déjà de nombreuses « promesses de dons » !
L'un d'entre nous est chargé de faire des reproductions de toutes les photos de classe pour les revendre à ceux qui les ont perdues ou qui ne les ont jamais eues comme moi. Ma mère ne pouvait les payer.
Il y aura un micro pour les interventions libres et les anecdotes. Nous ferons également un reportage vidéo de la journée. L'après-midi sera l'occasion de faire le tour du bourg à pied et d'aller embrasser les anciens du village comme ma mère. Il y aura aussi des surprises... et puis une séance photo.
Cet événement n'a pas vocation à se répéter, c'est un instant dans l'existence. Je vous conseille d'ailleurs la lecture du livre d'Annie Ernaux « Les Années ».
- Quelque chose de spécial à ajouter ?
Il me semble avoir tout dit. Ce qui m'étonne c'est ce lien indéfectible qui nous unit même pour ceux qui ne sont restés que peu de temps dans notre école.
Je crois qu'il y a un sens à cette rencontre car "on n'en finit jamais avec l'enfance" comme dit Boris Cyrulnik je crois... Nous serons réunis au-delà des différences sociales et c'est le rôle de l'école de la République.
Crédit photo : DR.